Tout d’abord, il faut noter que la loi instituant l’Etat d’urgence sanitaire, comme les ordonnances qui le mettent en œuvre, n’ont, à ce jour, apporté aucune modification ou restriction aux dispositions contenues dans le Code du travail sur le droit de retrait.

Ce droit de retrait tel que prévu par le Code du travail (articles L 4131-1 et 4132-1) consiste concrètement pour le salarié à se retirer de sa situation professionnelle qui l’expose à un risque grave et anormal par rapport à sa situation antérieure, pour sa santé.

Ce droit de retrait est à la seule initiative du salarié, et ce dernier peut parfaitement l’exercer seul ; mais ce droit peut tout autant être exercé par plusieurs salariés en même temps.

L’exercice légitime du droit de retrait :

Pour être considéré comme légitime, ce retrait doit répondre à plusieurs conditions cumulatives préalables :

L’existence d’un danger grave et imminent :

Il s’agit bien d’un danger et non pas de la concrétisation effective de l’atteinte : il faut que le risque de réalisation du danger soit fort, c’est-à-dire proche dans le temps, et avec une probabilité de réalisation importante.

Le risque de contracter le Coronavirus peut parfaitement s’appliquer puisqu’en droit, le danger imminent pour sa vie ou sa santé peut être celui de contracter une maladie, cette maladie étant analysée en tant qu’altération organique ou fonctionnelle, sans qu’il ne s’agisse forcément d’une maladie dite professionnelle.

L’imminence couvre toutes les situations où le risque est réalisable dans un délai rapproché. Il en sera ainsi toutes les fois où la dégradation de la santé sera engagée, c'est-à-dire quand le travailleur sera sans protection au contact de l'agent nocif, ce qui couvre les maladies, et pourrait parfaitement s’appliquer au risque de contracter le COVID 19, dont le délai d’incubation peut aller jusqu’à 14 jours.

La notion de danger dans l’exercice du droit de retrait implique de distinguer le danger anormal par rapport à l’activité habituelle du travailleur, du risque ‘’logique’’ attaché à une situation professionnelle connue et dont les risques ont déjà été appréhendés avant l’apparition de la pandémie.

Cependant, la seule existence d'une pandémie et à ce titre d’un risque de contracter le virus en situation professionnelle (comme dans la vie privée), ne suffit pas, à lui seul, à légitimer l’exercice du droit de retrait. Et ce, même si le COVID 19 constitue bien un danger grave pour sa vie ou sa santé.

A cet égard, il faut rappeler que la loi ne subordonne pas le droit de retrait à l'existence effective d'un danger grave et imminent ; en réalité, il suffit que le salarié ait un motif raisonnable de penser qu'il en est ainsi.

La dénonciation du risque à l’employeur :

Le salarié qui a un motif raisonnable de penser qu’il est face à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, doit impérativement et immédiatement, alerter son employeur de l'existence de ce risque.

Aucune procédure particulière n'est prévue pour la dénonciation du risque.

Mais il est absolument conseillé au salarié dans cette situation de formaliser son alerte par écrit, par exemple par un mail confirmant l’échange qu’il aura eu quelques instants plus tôt par téléphone ou de vive voix avec son supérieur.

C’est une condition préalable impérative pour l’exercice légitime du droit de retrait : à défaut, et quel que soit le danger réel invoqué par la suite, le droit de retrait serait sans aucun doute invalidé par le Juge.

Car cette dénonciation, avant la mise en œuvre effective du droit de retrait, a vocation, selon la loi, à permettre à l’employeur de remédier à la situation de danger par la mise en place immédiate de mesures de protection adéquates, permettant au salarié de poursuivre son activité sans plus être exposé à ce risque anormal.

Le retrait effectif et total de la situation de travail dangereuse :

​Si l’employeur n’a pas remédié à la situation de danger après la dénonciation du salarié et/ou l’enquête menée avec les membres du CSE, et que cette situation de danger grave pour la vie ou la santé du salarié persiste, le salarié qui exerce alors son droit retrait doit cesser totalement d’exécuter son contrat de travail.

​En effet, l’exercice du droit de retrait ne peut consister en une modification unilatérale par le salarié de ses conditions de travail, à l’encontre des instructions de son employeur, fût-ce dans un souci de sécurité.

​Face au risque de contamination au COVID 19, un salarié qui se munirait personnellement de masques ou qui ne travaillerait que 2 heures par jour au lieu des 7 heures habituelles par exemple, ou encore qui déplacerait son lieu de travail, ne pourrait, par la suite, se prévaloir d’avoir exercé son droit de retrait.

​Aucune formalité spécifique n’est imposée parallèlement à l’exercice du droit de retrait.

​En pratique, le salarié aura tout intérêt à adresser un écrit à son employeur/responsable, hiérarchique ou supérieur, idéalement celui à qui il a dénoncé l’existence de ce risque : par exemple, un mail rappelant son alerte, et l’absence de mesures de protection mises en place pour éliminer ou limiter le risque persistant, concluant à la seule possibilité, pour se protéger, de se retirer de la situation dangereuse (faire une description la plus exhaustive et précise possible des circonstances caractérisant la persistance du danger).

→ Si toutes ces conditions sont remplies, ce qui suppose que l’employeur dûment alerté n’a pas réagi en mettant en place des mesures de protection adéquates, le salarié en situation de retrait devra être payé comme s’il avait continué à travailler et ne pourra ni être sanctionné de ce fait, ni à fortiori, être licencié.

Le droit de retrait pouvant s’analyser comme le palliatif exercé par le salarié face au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, la Cour de Cassation a déjà jugé le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice légitime par le salarié du droit de retrait de son poste dans une situation de danger, nul.

L’exercice illégitime du droit de retrait

Le droit d’alerte et de retrait visent un danger attaché spécifiquement au travail et non un risque global.

Ainsi, lors de la pandémie grippale, la circulaire DGT 2009/16 du 3 juillet 2009 indiquait déjà : « il convient de souligner que le droit de retrait vise une situation particulière de travail et non une situation générale de pandémie ».

Ainsi, l’exposition du travailleur à un danger grave et imminent est imputée à la situation de travail (et par suite pourrait autoriser le salarié à s’en retirer), dans la mesure où elle résulte des conditions de travail.

C’est donc la particularité des conditions de travail et l’inadéquation des protections fournies par l’employeur pour cette situation de travail, qui crée le risque.

Par voie de conséquence, le droit de retrait ne sera pas (ou plus) légitime si l’employeur a déployé toutes les mesures de sécurité appropriées ; soit que ces mesures existaient déjà avant la pandémie, soit que l’employeur, alerté, a pris immédiatement les mesures adéquates pour annihiler le danger anormal propre aux conditions de travail spécifiques.

Car en effet, l’article L 4132-5 dispose que l'employeur prend les mesures et donne les instructions nécessaires pour permettre aux travailleurs, en cas de danger grave et imminent, d'arrêter leur activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatement le lieu de travail.

​Dans le contexte du risque d’épidémie de coronavirus, le questions-réponses à jour au 17 mars 2020 indiquait :

« Dès lors que sont mises en œuvre, tant par l’employeur que par les salariés, les recommandations du gouvernement, la seule circonstance que je sois affecté à l’accueil du public et pour des contacts prolongés et proches ne suffit pas, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, à considérer que je justifie d’un motif raisonnable pour exercer mon droit de retrait ».

La DGT suit la même ligne : l’inspecteur du travail n’a pas à se prononcer sur la réalité d’un DGI (Instruction DGT n° 2020, relative à la gestion de crise Covid-19, 13 mars 2020).

​On l’aura compris, les pouvoirs publics annoncent pour l’heure que seul le Juge pourra trancher la question de la légitimité d’un droit de retrait.

Cela étant, le Ministère du travail a édité une plaquette accessible sur internet, visant les mesures de protection que l’employeur doit mettre en œuvre pour assurer la sécurité des salariés face à l’épidémie de coronavirus : - Coronavirus – COVID 19 / Sécurité et santé des travailleurs : les obligations générales de l’employeur -.

​Il est intéressant de noter que ces instructions et conseils sont livrés au visa des termes de l’article L 4121-1 du Code du travail qui met à la charge de l’employeur une obligation générale d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs par des mesures de prévention et la mise en place d’une organisation de travail et de moyens adaptés pour assurer cette sécurité de façon effective.

​Selon cette plaquette, et pour protéger les salariés du COVID 19, l’employeur doit :

  • Procéder à l’évaluation des risques
  • Déterminer à la suite de cette évaluation, les mesures les plus pertinentes à mettre en place
  • Associer les représentants du personnel à ce travail
  • Solliciter le service de médecine du travail
  • Respecter et faire respecter les gestes barrière édictés par les autorités sanitaires.

Respecter et faire respecter les gestes barrière édictés par les autorités sanitaires

La mise à jour au 1er avril confirme ces préconisations et ajoute au sujet de l’évaluation des risques qu’il convient d’actualiser le document unique d’évaluation des risques, du fait de l’épidémie actuelle liée au virus COVID-19 ; et d’ajouter que l’actualisation des risques visera particulièrement à identifier les situations de travail pour lesquelles les conditions de transmission du coronavirus peuvent se trouver réunies ; ainsi « d’un contact direct à moins d’un mètre lors d’une toux, d’un éternuement ou discussion de plus de 15 minutes en l’absence de mesures de protection »…

Selon cette mise à jour « il ne s’agit pas de traiter exclusivement les risques directement générés par l’activité professionnelle habituelle mais également d’anticiper les risques liés à l’épidémie de coronavirus » ; les risques nouveaux générés par l’organisation spécifique d’une entreprise combinés à ceux liés à l’exposition au virus « impliquent d’actualiser le document unique d’évaluation des risques ».

Dès lors et dans l’appréciation à postériori de la légitimité du droit de retrait, il ne suffira pas à l’employeur de justifier avoir donné des directives de distanciation dans les locaux de travail ou avoir veillé à fournir les matériels pour le lavage des mains régulier, encore faudra-t-il aussi qu’il démontre avoir procédé à une réelle RE-évaluation des risques, dans le document unique, à l’aune de ce nouveau risque COVID 19, et ce en association avec les représentants du personnel.

Ainsi donc, si l’employeur alerté, procède sans délai à une évaluation du danger dénoncé par le salarié, en concertation avec les représentants du personnel (CHSCT/CSE), et met en place à la suite, et toujours en concertation avec les IRP, des mesures adéquates pour prévenir ou mettre un terme au danger anormal signalé, le droit d’alerte mis en œuvre pourrait être jugé illégitime.

→ Dans ce cas, l’employeur sera en droit de ne pas payer le salarié absent pendant l’exercice illégitime de son droit de retrait, et sera bien fondé, après mise en demeure infructueuse de reprendre son poste, de sanctionner le salarié, y compris par un licenciement.

Le rôle fondamental des représentants du personnel

Le CHSCT, maintenant CSE, dispose d’un droit d’alerte autonome de celui exercé par le salarié avant son retrait : les représentants du personnel au CHSCT ont en effet la possibilité de saisir l'employeur en cas de danger grave et imminent.

Si les 2 procédures sont de la même façon organisées autour de la notion de danger grave et imminent, elles ne se conditionnent pas réciproquement.

En pratique, et sans aucun doute dans le contexte de crise sanitaire que l’on connait aujourd’hui, elles peuvent se combiner.

Ainsi, l’alerte du CHSCT peut être déclenchée après qu’un ou des représentants aient été informés d’un tel danger par un salarié ayant usé de son droit de retrait. Car à réception de l’alerte du salarié qui entend exercer son droit de retrait, l’employeur est tenu de la signaler au représentant du personnel au CSE.

Et réciproquement, les représentants du personnel constatant in situ un tel danger saisiront l’employeur de la situation, et en l’absence de mesures appropriées mises en œuvre à la suite, les salariés pourraient être amenés à exercer leur droit de retrait pour se mettre en sécurité.

Selon la loi (sans modifications à ce jour sur ce point) le représentant du personnel saisi par l’alerte d’un salarié ou qui saisit directement l’employeur d’un DGI, consigne son avis par écrit dans un registre d’alerte dédié.

L’employeur doit alors immédiatement procéder à une enquête avec le représentant du CSE et prendre les dispositions nécessaires pour remédier à ce danger.

En cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, le CSE est réuni dans un délai n’excédant pas 24 heures (dans le contexte de confinement, privilégier la visioconférence), l’employeur y invite l’inspection du travail, la CARSAT et le médecin du travail.

Le CSE se prononce par un vote auquel l’employeur ne prend pas part.

A défaut d’accord entre le CSE et l’employeur, l’inspecteur du travail est saisi immédiatement par l’employeur et peut alors mettre en œuvre soit une mise en demeure soit saisir le juge en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque.

Evidemment, dans le contexte de confinement actuel, ces mesures vont s’avérer compliquer à mettre en œuvre ; mais cette « complication » ne pourrait devenir un prétexte pour la structure, à ne pas agir, tout au contraire !

CONTAMINATION AU COVID 19 SUR SON LIEU DE TRAVAIL : ACCIDENT DE TRAVAIL, MALADIE PROFESSIONNELLE ET FAUTE INEXCUSABLE DE L’EMPLOYEUR

La Cour de cassation a posé le principe selon lequel constitue un accident du travail tout fait précis survenu soudainement au cours ou à l'occasion du travail et qui est à l'origine d'une lésion corporelle.

​Quant à la maladie (professionnelle), elle est caractérisée, selon la jurisprudence, par une évolution lente ou progressive.

​En pratique, l’on sait que lorsqu’une maladie n’entre pas dans les tableaux de maladie professionnelle, il est extrêmement difficile de la faire reconnaître en maladie professionnelle hors tableaux.

​On peut s’interroger sur l’éventuelle déclaration en accident de travail d’un salarié atteint du COVID 19 qu’il aurait contracté sur son lieu de travail.

La Cour Suprême a déjà été amenée à se prononcer sur la question des maladies contagieuses : l'exigence d'un traumatisme ou d'un événement soudain a conduit la jurisprudence à refuser de qualifier d'accident du travail celles contractées à l'occasion du travail et apparues après une période d'incubation.

​Toutefois, l'évolution de la jurisprudence pourrait être de nature à remettre en cause ces solutions : une maladie contagieuse devrait pouvoir être prise en charge à titre d'accident du travail dès lors que la date et les conditions dans lesquelles celle-ci a été contractée sont précisément connues. La Haute Cour l'a admis très implicitement, notamment dans un arrêt du 18 avril 1991.

​On l’aura compris, en pratique, il s’avèrera difficile et même quasi impossible, de voir qualifier l’infection au COVID 19 d’un salari, en accident de travail.

Car non seulement il faudra que le diagnostic soit posé sur un arrêt de travail, que le médecin qui délivrerait l’arrêt de travail correspondant établisse un feuillet d’AT, mais surtout que ce dernier pose une date précise de survenance de l’accident sur ce feuillet.

A défaut, il faudra déclarer une maladie professionnelle et faire inscrire la date de 1ère constatation au moment du diagnostic posé par le médecin.

​Comme cette maladie sera hors tableaux, il faudra par la suite démontrer que cette maladie a été directement et essentiellement causée par le travail habituel du salarié, ET qu’elle ait entrainé soit le décès du salarié (action par les ayants-droit) soit une incapacité permanente d’au moins 25 %, c'est à dire uniquement les cas très graves de COVID 19.

→ Si et seulement si, un AT ou une MP sont reconnus par la CPAM, le salarié ou ses ayant-droit auront à la suite, la possibilité d’engager la responsabilité civile de l’employeur en demandant la reconnaissance de la faute inexcusable de ce dernier à l’origine de l’AT ou MP ; c’est-à-dire s’il est démontré que l’AT ou MP est survenu en raison d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

​Et c’est là qu’entreront en ligne de compte les éventuelles alertes antérieures du salarié, comme des représentants du personnel.

​Il pourrait en aller ainsi s’il est démontré que le salarié a contracté le COVID 19 sur son lieu de travail parce que son employeur n’a pas mis en place une organisation de travail permettant la distanciation, ou n’a pas mis à disposition le nécessaire pour se laver les mains régulièrement, et toutes les mesures propres à assurer la sécurité du salarié, au regard de ses conditions de travail.

La loi prévoit que le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur est de droit pour le salarié ou les salariés qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé ; il s’agit là d’une véritable présomption légale de faute inexcusable.